Vallauris, vendredi 13 novembre 1998. Le ciel et les hommes accompagnent Jean Marais à sa dernière demeure. Le premier en se parant, dans un mimétisme impressionnant, de la couleur de ses yeux avec juste quelques nuages comme ultime reflet de sa flamboyante chevelure, les seconds en pleurant un grand homme. Vallauris, belle terre des potiers, avait accueilli, il y a près de vingt ans, celui que l'on aurait pu croire comblé dans le domaine artistique puisque ses triomphes au cinéma et au théâtre ne se comptaient plus, qu'il peignait avec talent depuis l'adolescence, qu'il dessinait autant de décors que de costumes, mettait en scène, etc... Mais non, Jean le modeste, Jean le curieux voulait travailler l'argile. Cette argile allait permettre une rencontre qui pourrait être le titre d'un film : la star, le potier et sa femme. Avec dans les rôles principaux : Jean Marais, Joseph et Nicole Pasquali. Le métier du potier, le désir avide d'apprendre de l'acteur et le dévouement amical de l'épouse, une alchimie étonnante qui permit la naissance d'une amitié, d'une vraie, comme au cinéma. Celle qui dure toujours. Premier secret de l'incroyable destinée de Jean Marais, il n'y a jamais eu deux hommes, celui des plateaux et celui de la vie réelle. Jean était le même, tout le temps où qu'il fût.

Débordant d'humanité, de gentillesse et de respect. Je l'ai rencontré, il y a presque dix ans, à l'occasion d'une exposition de ses sculptures. Choc, le héros de mon enfance, de la Belle et la Bête à Fantomas en passant par Orphée, était arrivé dix minutes avant moi à notre premier rendez-vous. La suite fût de la même eau, Jean parlait de moi, s'intéressait à moi et lorsque, rarement, je parvenais à parler de lui ne voyait comme seules explications à son succès, Jean Cocteau qui l'avait créé et Dame Chance qui ne l'avait jamais quitté. On ne sort pas indemne d'un entretien comme celui-là, nous en reparlerons. Vendredi 13 novembre 1998. Nicole, " Nini " pour les amis, et Joseph, " Jo " pour les mêmes, sont là, comme toujours.


Dans l'église Sainte-Anne, ils sont entourés de nombreuses personnalités, telles que Jean-Pierre Aumont, Georges Descrières ou Mylène Demongeot mais qu'importe, aujourd'hui soyons inspirés par celui qui s'en va et considérons tous les êtres humains comme égaux. Faisons comme cet homme qui avait reçu tous les dons et qui avait toujours le même intérêt pour l'autre, qu'il fût président ou simple quidam. Jean qui me disait, voici quelques années : " Le bonheur, Manuel, c'est le secret. Soyez heureux, c'est tout ce qui compte ". " Laissez tomber vos affaires, vos occupations soi-disant importantes, si vous voulez écrire, écrivez. C'est tout ! ". La vie était simple pour Jean Marais parce qu'il ne faisait que ce qui lui plaisait, que ce qu'il avait envie de faire. La vie était juste parce qu'il avait du talent pour tout ce qu'il a fait. Vallauris est réunie pour son citoyen d'honneur. Elle a mis ses drapeaux en berne et l'église est bien trop exiguë pour contenir tout ceux qui auraient souhaité être là. Beaucoup expriment le même regret, celui de ne pas l'avoir rencontré alors qu'ils ont l'impression de si bien le connaître. Comme ils ont raison, rencontrer Jean Marais était un privilège unique. Cet homme qui au cinéma a su se faire aimer de la mort elle-même, était une leçon de vie.

Sous un déluge qui ne peut se produire que chez Jean Marais, la course entre les deux maisons et, enfin, la piscine, le couvert de la terrasse et la baie vitrée du salon qui est ouverte. Il n'y a pas de lumière, enfin presque pas, on distingue à peine la danse de la flamme des bougies. Un instant d'hésitation, que faut-il faire ? La voix magique retentit : " Entrez, mais entrez donc ". Débute alors une discussion surréaliste dans laquelle mon héros me parle avec passion de mon texte. Puis son engagement total pour que le manuscrit soit édité. Sortie du livre, un prix et Jean Marais qui ose ce commentaire :" Pourquoi me l'avoir dédié ? Je ne le méritais pas ".


Vallauris, 13 novembre 1998, des milliers de personnes sont tristes parce qu'un homme de bien est parti. La Ministre de la Culture a prononcé un hommage émouvant, des sanglots dans la voix. Le caveau sera bientôt refermé. Le ciel n'a plus le bleu de ses yeux, il a emporté la couleur avec lui. Jean Marais était un homme extraordinaire, il y a une magnifique unanimité pour le reconnaître, mais il était plus, comme un enfant qui découvrait chaque jour quelque chose, une âme pure. Ses dernières années, consacrées au théâtre, à la sculpture, à la peinture, un peu au grand écran étaient comme une préparation. Celle des retrouvailles. On est pris d'un frisson quand on se souvient que Jean disait de Jean (Cocteau) qu'il l'avait créé. Marais est parti retrouver son créateur. Celui qui avait dit à ses amis de faire semblant de pleurer à sa mort puisque les poètes font semblant de mourir, ce qui avait fait dire à Jean Marais devant la dépouille de Cocteau, qu'il ne pleurait pas puisque désormais, il ferait semblant de vivre.

L'auteur orphelin est effondré, comment témoigner de l'exceptionnel ? Peut-être en empruntant une citation au livre qui avait plu à son héros :" Les larmes sont l'eau des jours de l'homme, celle qui irrigue l'avenir et permet à demain d'exister ". Vous êtes sûrement fou de joie auprès de votre Jean mais votre disparition nous submerge.

MANUEL M. MARTIN
PHOTOS : © CHRISTIAN MARTIN